« Shin » - Une première syllabe qui évoque le bruit du vent, la vitesse, l’air qui se compresse...
« Kan » - Une deuxième syllabe qui claque comme une balle de fusil…
« Sen » - Une troisième syllabe, le son s’atténue, l’objet est déjà loin…
Comment ne pas ressentir à la lecture de ce mot, le rythme qu’impulse le Samouraï à son sabre au moment de l’attaque décisive…
Derrière le son, « Shinkansen » est une vision. Celle d’un objet, superbe, qui nous transporte au-delà de ses destinations pour nous faire découvrir la diversité et l’ingéniosité de l’esprit humain.
Car enfin, soyons pragmatique. Le cahier des charges fournit aux ingénieurs français du TGV et aux ingénieurs japonais du Shinkansen devait a peu près être le même :
« chers hommes et femmes (quoi qu'à cette époque c’était pas gagné pour les femmes), vous devrez mettre au point un moyen de transport sur rail capable de transporter des centaines de personnes à grande vitesse et en toute sécurité. Il y a va de l’avenir de notre pays, il y va de son aménagement du territoire, il y va de notre reconnaissance technologique, bref il y a va de notre honneur et de notre grandeur ! »
Animés par la fierté nationale, par la passion de la technique, par le goût de l’invention, voilà nos centaines d’ingénieurs saisissant leurs crayons pour répondre à la commande et offrir ainsi à Monsieur Dupont ou Kobayashi, un nouveau moyen de transport lui permettant de mener ses affaires, d’aller en vacances ou de revenir sur ses terres familiales.
1er octobre 1964, « Shinkansen » naît.
22 septembre 1981, TGV naît.
2014 : si l’un fête ses 50 ans et l’autre ses 33 ans, les deux affichent des caractéristiques proches. Les deux sont capables de transporter plusieurs centaines de personnes à grande vitesse et en toute sécurité. Certes, l’objectif fixé est atteint, certes…
Mais avouons que l’inspiration à la vue de « Shinkansen » n’est pas la même qu’à la vue de « TGV »… Nouvelle Grande Ligne (traduction de Shinkansen) contre Train à Grande Vitesse.
Un service nouveau contre un objet technologique.
Dès le début, tout était écrit : l’usage avant l’outil.
Le train est à quai, portes fermées le temps que le personnel de bord fasse le ménage et positionne les sièges dans le sens de la marche. Opération effectuée par la simple pression d’une pédale sous chaque rangée de sièges permettant d’orienter toute la rangée dans le bon sens. Le bon sens est bien le mot pour caractériser cette astuce technique.
Retour sur le quai, les portes s’ouvrent. D’un pas, vous êtes dans le train. D’un simple pas, qu’il soit grand ou petit d’ailleurs car l’écart avec le quai n’est que de quelques centimètres. Oubliez l’effort pour porter votre valise en haut des trois marches de notre TGV… Pas de marches à gravir dans « Shinkansen ». L’ensemble du train est au niveau du quai. Personnes âgées ou handicapées, venez, vous êtes les bienvenues et en plus ça profite à tous. Oubliés accidents de valise, chevilles foulées, fatigue et transpiration inutiles… D’ailleurs, il y a un mot qui ne semble pas exister en japonais : « cohue ». Chacun rentre à tour de rôle dans le train sans pousser, sans bourrer dans tous les coins, sans râler… non, les portes s’ouvrent et chacun rentre sans difficultés. Remarquez qu’il s’agit là d’une nécessité quand un arrêt en gare ne dure qu’une minute et seize secondes dont huit secondes pour ouvrir et 8 secondes pour fermer (oui j’ai chronométré). N’espérez pas sortir fumer une clope ou prendre l’air. Pour fumer, un espace clos est aménagé. Pour prendre l’air ? Vous aurez tout le temps à l’arrivée.
Les mauvaises années, les retards se comptent en secondes. Les accidents ? Aucun mortel en 50 ans d’exploitation. Ah si, une fois, un suicide.
Oui, l’intérieur est spartiate. Le japonais est parfois très proche d’un luthérien. Quelle erreur historique d’avoir envoyé François Xavier porter la parole catholique au Japon alors qu’évidemment c’était la parole protestante qu’il fallait porter ! En plus il a attaqué par le sud, deuxième erreur funeste. Bref, revenons à nos moutons. Un intérieur sobre, des sièges simples mais un confort réel. L’accélération et le freinage feraient à peine rouler une pièce de monnaie posée sur la tranche. Pour les repas ou les cafés, point de wagons restaurants mais une hôtesse promenant son chariot de mets et boissons très régulièrement. Un contrôleur qui s’excuse à l’avance de vous demander votre billet et vous salue en quittant le wagon. Un calme. Le Superexpress de la sérénité est pourtant à 300 km/h.
Mais « Shinkansen », c’est une gueule hors norme. Un design extra-terrestre. Une installation mobile d’art contemporain à lui tout seul. Une œuvre mobile. L’efficacité et la praticité n’ont pas effacé la beauté… Une beauté qui n’est pas restée vierge longtemps, les marchands du temple ont su s’en saisir et chaque gare intègre sa boutique de produits dérivés. Du Shinkansen miniature au ballon en passant par le stylo et les T-shirts, le mythe rapporte.
Ils peuvent être fiers de leur train.
Soyons émerveillés par la diversité de l’esprit humain.
Inspirons nous.
Micaël Fischer, le 7 aout 2015.