Les grandes affaires industrielles passionnent, et c'est heureux. Il faut dire qu'elles offrent toute la palette des personnages et des émotions possibles. Nous avons eu le droit à Arcelor-Mittal, puis à Dailymotion - Yahoo et tout récemment SFR-Vivendi-Numéricable. Depuis mercredi sur nos écrans, c'est l'épisode 4 de la guerre industrielle qui vient de sortir : Alstom – General Electric – Siemens. Un nouvel épisode du gentil français, premier de la classe prêt à se mettre sous la coupe de l'affreux américain. L'Oncle Sam qui vient dévorer M Dupont avec son béret. Heureusement, M Dupont pourrait être sauvé par son voisin allemand. Un voisin qu'il n'a jamais beaucoup aimé et qu'il a mis à la porte voilà quelques années, préférant une quasi-nationalisation, c'est dire qu'il n'aimait vraiment pas du tout ce voisin.
C'est donc l'actualité économique de ces derniers jours. Nous découvrons que notre fleuron national n'est pas si fleuron que ça et plus très intéressé par le coté national de la force.
Premier sentiment : la surprise, nous sommes surpris ! Comment pouvons nous être surpris par une telle annonce ? N'avons nous pas des spécialistes qui suivent l'évolution de nos leaders mondiaux et de nos filières d'excellence ? N'ont ils pas vu les mouvements qui frappent ce secteur depuis le début de l'année, et que même un béotien, pouvait comprendre ? Au début de l'année, nous apprenons que deux japonais concurrents (Hitachi et Mitsubishi) décident d'enterrer le sabre de Samouraï pour s'allier face aux concurrents que sont GE, Alstom, Siemens et sûrement d'autres (mais je ne suis pas spécialiste). Dans le même temps, Alstom présente des mauvais résultats alors même que ces nouvelles activités nécessitent des lourds besoins capitalistiques... Il était donc logique qu'Alstom cherche un partenaire industriel fort. Il y a quelques années, Alstom avait rejetait un partenariat avec Siemens. Il reste qui ? Au moins Général Electric ! C'est la première leçon de cette histoire : nous revendiquons un État stratège, mais nous sommes toujours incapable d'anticiper. C'est pourtant la base de toute politique industrielle crédible. Tant que nous serons incapable d'agir en avance de phase, l'action de nos Ministres se réduira à limiter la casse et à jouer les pompiers. Ce sujet n'est pas nouveau, cela fait maintenant plus de 15 ans qu'est sorti le rapport Martre sur l'intelligence économique et rien n'a changé.
Deuxième sentiment : un étonnement. En 2014, nous en sommes encore à considérer les USA comme le mal absolu. De Gaulle est toujours parmi nous, et c'est vrai qu'en France on croit encore que le Rock c'est Johhny et pas Elvis... Pourtant, le Président de la République s'était rendu outre atlantique et avait pu observer la silicon valley. Pourtant, les USA sont le premier investisseur en France, devant l'Allemagne. Pourtant, notre production de moteurs d'avions civils est réalisé dans le cadre d'un partenariat 50/50 Safran - GE. Nous ne parlons pas d'on ne sait quel fonds de pension ou d'investissement plus ou moins piloté par la CIA mais de General Electric, l'une des entreprises américaines qui s'inscrit le plus dans le long terme et qui fait le respect de toute la planète industrielle. Décrire ce conglomérat américain comme un vulgaire rapace, avant même d'avoir pris connaissance du projet industriel, n'est pas correct. Surtout quelques semaines après avoir sorti le tapis rouge pour les industriels chinois.
Troisième sentiment: la consternation. Si nous en sommes à chercher GE pour sauver Alstom, c'est bien qu'il n'y a toujours pas de politique industrielle en Europe. Depuis la création d'EADS, il ne s'est rien passé. Ce n'est pas au patron d'Alstom qu'il faut en vouloir, mais bien à nous de n'avoir pas su saisir la crise d'Alstom il y a 10 ans ou la revente des parts de l’État il y a 7 ans pour construire un projet européen dans ce domaine. Est il raisonnable de penser que nous allons construire en 3 jours ce que nous n'avons pas su faire en 10 ans ? Bien sur, il faut tenter, et le Ministre Montebourg et le Président Hollande, ont mille fois raisons de relever le défi, mais c'est beaucoup trop tard.
Au passage, il y a de quoi être abasourdi par les propos de l'UMP : car eux, qu'ont ils fait lorsqu'ils étaient au pouvoir? Nicolas Sarkozy a sauvé Alstom de la faillite, certes, mais grâce au plan de Francis Mer et nul doute que n'importe quel Ministre aurais fait la même chose. Mais quelle a été sa vision industrielle ? Aucune. Il n'a cherché à cette période qu'un coup de publicité pour sa campagne présidentielle. Et le résultat nous le subissons aujourd'hui.
Mais pire encore que la position de l'UMP, celle du Front de gauche de nationaliser Alstom. Autant mettre immédiatement tous les salariés au chômage et laisser GE et Siemens se partager l'Europe. En quoi faire entrer l'Etat au capital va permettre à Alstom de régler ces problèmes de marché et faciliter un rapprochement industriel? Si la magie existait dans le monde industriel, ça se saurait. A force de brandir des solutions d'une autre époque, on risque de retourner dans cette autre époque!
Je ne sais pas ce qui va sortir de cette affaire, bien que la logique fasse que GE remporte la mise, mais en tout état de cause, tout le monde aura perdu : les politiques n'auront eu qu'à gérer la crise dans l'urgence, les dirigeants d'Alstom auront perdu du temps dans leur stratégie de sauvegarde, l'Europe aura montré son incapacité à faire de la stratégie industrielle, la France aura montré une mauvaise image à nos amis américains et au-delà, les salariés vont vivre dans l'angoisse pour leur emploi.
Bref, nous sommes toujours aussi nuls !