Le brouillard et l'éventail: juillet 2014

Fier de moi je demande confirmation à l'interprète : « le japonais se lit bien de droite à gauche ? » « ça dépend, il peut se lire de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas »...

Akio Morita, co-fondateur de Sony, déclara un jour : « Tout le monde peut innover, si sa vie en dépend »...

Une langue qui se lit en 3 dimensions et un rapport à l'innovation quasiment tragique. Une immense richesse culturelle et une volonté vitale d'investir l'avenir. Le Japon ne peut laisser indifférent. Il interpelle. Chaque expérience est propice à la réflexion. Une réflexion qui un jour ou l'autre portera ses fruits...

… Des fruits comme dans ce magasin au rez de chaussée d'un building. De loin, des étals avec différentes espèces. De prés, un nouvel usage du fruit que nous ignorons en France : le cadeau. Tout comme nous pouvons offrir une bonne bouteille de vin à des amis, au Japon, vous pouvez offrir un fruit. Un beau fruit emballé à l'unité dans un cocon luxueux. Il fallait y penser. Il faut aussi avoir le budget : comptez entre 60 et 100 euros l'unité.

Vous prenez l'escalator pour rejoindre le restaurant. Des tables, des chaises, un buffet, un menu. Bref, du classique... Sauf que vous êtes le seul homme dans le restaurant. Il est exclusivement peuplé de clientes féminines parfaitement apprêtées qui déjeunent entre amies. Où déjeunent les hommes ? Mystère et boule de glace au haricot rouge !

Rouge comme le thon qui, après un long processus mystérieux, se transformera en bonite séchée. Ingrédient majeur de la gastronomie japonaise, introuvable en Europe pour d'obscures raisons sanitaires. Introuvable pour encore quelques mois, le temps que Makurazaki commence sa production de bonite séchée à Concarneau. Une marque de confiance très forte faite à la Bretagne. Un investissement de long-terme...

… Mais peut être moins long que la durée de vie qui semble être celle des buildings. L'un de ceux où nous sommes passés était en passe d'être détruit après 40 années de bons et loyaux services. Une bonne idée pour relancer en permanence la filière du bâtiment ! Une déconstruction – reconstruction directement liée à l'évolution des différentes normes et en particulier les normes antisismiques.

L'éternel crainte du cataclysme est palpable, elle revient en permanence dans les argumentaires pour présenter leurs nouvelles technologies...

… Des technologies étonnantes dans tous les domaines : pile à combustible pour le particulier, réalité augmentée, 3D, résolutions inégalées... Le Japon représente 2 % de la population mondiale et 22 % des dépenses de R&D... Un pays qui vieillit à grande vitesse mais qui ne veut pas subir et choisit d'investir massivement dans l'industrie de demain... A méditer.

Micaël

Bonjour à tous,

En guise d'introduction à cette note, je voudrais avoir une pensée pour le Général de Gaulle. Rappelons-nous de ce grand moment de télévision où, parlant de l'Europe, il avait déclaré « bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! », « l'Europe ! », « l'Europe ! » mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. »

Remplaçons l'Europe par l'innovation et nous aurons alors une vision saisissante : celle de la plupart de nos responsables politiques, experts économiques, pseudo penseurs du XXIIème siècle de tout bord, incapables de ponctuer le moindre discours sans en appeler à la sacro-sainte innovation, le veau d'or des temps modernes, celui qui va nous libérer, nous ouvrir de nouveaux espaces, nous donner un souffle pour nous emporter vers un monde meilleur.

Chacun y va de sa formule choc, de préférence une formule intégrant quelques mots de globish, ça fait plus cool, oubliant un peu vite que la « world music » c'était de la soupe ! Bref, si t'innoves pas, t'as rien compris à la vie et si tes salariés veulent pas changer, c'est qu'ils sont des horribles conservateurs cgtistes...

Et bien, soyons innovant une bonne fois pour toute, cassons le veau d'or, oublions l'innovation et revenons à l'essentiel : le projet ! Luc Ferry (oui je reconnais que Luc Ferry c'est moins « in » que je ne sais quel consultant américain ou grand patron d'agence de com) le rappelle très justement dans un petit ouvrage intitulé « l'innovation destructrice ».

Ces dernières années, le fonctionnement des entreprises a été bouleversée sous l'influence d'un client de plus en plus exigeant, d'un marché totalement mondialisé, d'un numérique qui raccourcit le temps comme jamais. Les organisations sont bâties avec moins d'échelons hiérarchiques mais aussi avec moins de distance avec le client. Un salarié peut se retrouver coincé entre une hiérarchie très proche qui attends des résultats immédiats et des clients en ligne directe qui exigent le maximum de service pour le minimum de prix. Et tout cela dans un mouvement permanent de changement organisationnel dicté autant par les modes managériales que par des nouvelles réalités.

Comment dans ces conditions faire rêver en parlant de changement permanent et de remise en cause perpétuelle ? Comment mettre en mouvement une entreprise, et qui plus est une société, autour de l'idée que rien n'est jamais bien et qu'il faudrait changer de méthodes en permanence ? Comment mobiliser un maximum de personnes en tenant un discours qui, très souvent est excluant car réduit l'innovation au High-Tech et ne parle qu'à une certaine population dite des « classes créatives ».

L'innovation doit s'inscrire dans un projet et doit s'inscrire dans le temps. Il ne s'agit pas simplement de renverser la table tous les 15 jours pour se donner l'impression que l'on change le monde mais d'être capable d'écrire un chemin, de proposer une vision, d'emmener ses collaborateurs ou ses administrés avec soi. C'est le préalable au changement. C'est évidemment beaucoup plus exigeant et moins vendeur. Mais quelles sont les entreprises les plus solides aujourd'hui, si ce n'est celles, d'Apple à General Electric, qui ont su s'inscrire dans le temps ?

Oui mais les entreprises du numérique sont les plus innovantes et donc les plus efficaces me direz-vous ? Et si elles le sont, c'est parce qu'elles ont inclue dès leur création, dans leur mode de fonctionnement, l'innovation permanente et le temps court. Certes. Mais alors pourquoi autant de ces entreprises finissent dans les cimetières des tribunaux de commerce ? C'est bien souvent parce qu'à force d'être obnubilées par la puissance de leurs outils, elles en oublient la réalité du marché ; aveuglées par la techno, elles n'arrivent plus à anticiper et au final à changer au moment où il le faut.

Cette notion du « moment » est à garder à l'esprit. Le changement efficace n'est pas le changement à chaque instant mais le changement au bon moment. Et là encore, à force de vivre dans un temps court, dans le stress de l'horloge, on peut passer totalement à coté d'un moment stratégique. Les patrons du numérique ne sont pas moins le nez dans le guidon que les autres ! Ça peut même être pire car ils pédalent encore plus vite !

Bref, voulons-nous des entreprises qui cherchent sans cesse à suivre le marché ou voulons nous des entreprises capables d'initier de nouveaux marchés, d'anticiper et au final d'influer ?

Il faut remettre chaque chose à sa place, l'innovation n'est pas une fin en soi, ce n'est pas le projet, c'est l'outil. Alors, travaillons à savoir ce qu'est un monde meilleur et ensuite l'innovation suivra bien.

Micaël