John Maynard Keynes naît en 1883. L'impressionnisme bouscule les habitudes académiques, le Royaume-Uni victorien domine le monde, la révolution industrielle tapisse de noir les façades de villes en pleine croissance. Il meurt en 1946, deux ans après le débarquement, un an avant l'annonce du plan Marshall, trois ans après la naissance de Mick Jagger.
Autant il est risqué d'affirmer que si Mick Jagger était né en 1883 il serait devenu l'un des plus grands économistes de son temps, autant, il paraît totalement évident que John Maynard Keynes aurait été un Rolling Stones.
Il était d'abord un intellectuel. Pas un intellectuel de salon qui se retrouve avec d'autres intellectuels de salon pour disserter durant des heures en buvant du thé (au mieux) pour finalement conclure que si tout va mal, c'est parce que personne n'a la bonne idée de les écouter. L'ironie perfide faisant souvent office de conclusion à des démonstrations plus ou moins solides.
Aucun salon de ce genre dans le quartier de Bloomsberry qui abrita, au détour d'une rue, la maison de John Maynard Keynes. Une maison aux briques rouges et aux habitants réfractaires à la morale victorienne. Certes, John Maynard Keynes a toujours considéré qu'il fallait des règles et une bonne organisation publique. Combattre la morale victorienne ou n'importe quelle autre morale sclérosante n'est pas vouloir la chienlit. On peut faire du rock et arriver à chacun de ses concerts sans forcément être totalement défoncé. Spéciale dédicace à Keith Richards.
Alors que Schumpeter imagine le processus de « destruction – créatrice » qui le rendra célèbre, John Maynard Keynes et ses bloomsburiens inventent le « bouillonnement – créateur ». Un vent de liberté souffle. Des rencontres hors normes se produisent. La liberté sexuelle règne. Auteurs, compositeurs, écrivains, écrivaines, philosophes, il est rare à cette époque et encore de nos jours de réussir à concentrer autant d'esprit dans si peu de mètres carrés. Mais si la discussion est riche, elle n'est pas la principale donnée de sortie de cette boite noire. A Bloomsbury, la parlote n'intéresse pas. C'est la production qui compte. Nous sommes à Nellcôte avec Keith Richards à la guitare grattant le riff Honky Tonk Woman. La boite noire se transforme en kaléidoscope.
Des livres s’écrivent, des pièces s'imaginent, des investissements se préparent. John Maynard Keynes n'était pas le dernier à investir. Je n'évoque pas là sa capacité d'investissement auprès des danseuses à la mode ou de séduisants écrivains, mais bien ses investissements financiers. Bien malin celui qui aurait pu écrire la doctrine unissant l'achat d'un théâtre, véritable pompe à fric qui aurait pu le mettre sur la paille, et l'achat de titres boursiers à des fins spéculatives. John Maynard Keynes n'aurait pu être un économiste simple spectateurs de modèles mathématiques posés sur sa feuille de papier. Il a joué son argent malgré ses poches souvent trouées.
Cette liberté créative ne peut être dissociée de l'œuvre économique de John Maynard Keynes. L'économie n'était qu'une partie de sa vie. Un trait de personnalité à méditer.
Il n'aurait sûrement pas supporté de vivre dans une société où la crise, la peur de l'avenir, la volonté de savoir ce qui va être, ont fait des économistes les nouveaux oracles aux taux de réussite dans leurs prévisions frôlant ceux des astrologues. Il n'aurait pas aimé que la science économique, à force d'économistes télévisés ou dogmatiques ou les deux, s'enfonce dans une fadeur tragique.
L'imagination a fui nos débats. S'opposent dans les médias, des économistes starisés qui n'ont jamais ouvert un livre de sciences économiques et des économistes de salons, enfermés dans leur science, dans leur dogme, incapables de sortir de ce qui va de soi. Pauvreté quand tu nous tiens !
Imaginer John Maynard Keynes devant les chroniques économico-politiques de BFMTV, c'est comme imaginer les Rolling Stones devant un concert des musclés.
Une chose est sure, la Richesse des nations ne se trouve pas dans nos discussions actuelles sur l'offre ou la demande (spéciale dédicace à Smith, Adam et pas Stan).
Penser l'économie seulement avec l'économie, c'est juste tourner en rond. Et John Maynard Keynes n'était pas un homme à tourner en rond.
Il aurait certainement trouvé consternants les débats qui ont suivi la nomination du nouveau ministre de l'économie français. Un homme qui a le tort d'avoir étudié la philosophie, d'avoir été fonctionnaire, puis d'avoir travaillé dans une banque d'affaire. Un profil bien trop complexe et tortueux pour être honnête. Et en plus, il n'a jamais été élu, pire, il est jeune ! Que n'a-t-on pas entendu!
Mais qu'auraient pensé tous ces critiques de John Maynard Keynes? En plus de fréquenter des philosophes, des artistes, il lui arrivait de jouer en bourse. Il est savoureux de se dire que ceux qui ont attaqué le ministre Macron tout en demandant une politique de la demande inspirée par Keynes auraient certainement détesté Keynes lui même.
Mais si John Maynard Keynes est connu, ce n'est pas pour ce qu'il est mais pour ce qu'il a écrit. Les conséquences économiques de la paix lui donnent son premier grand succès littéraire. La seconde guerre mondiale ne pouvait plus étonner après cette dénonciation du Traité de Versailles. Mais son œuvre majeure qui trouve encore sa place dans tout bon sac d'étudiant en économie est la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie.
Sans cette œuvre, la gauche aurait été condamnée au marxisme. Vous imaginez la tristesse?
Son travail ouvre une nouvelle perspective aux politiques économiques. Plutôt que d'attendre une main invisible, comme les premiers disciples de Paul attendaient la résurrection de leur premier mort, mieux vaut compter sur un peu de bon sens et quelques investissements. Le monde est ce qu'il est. Prenons en acte.
Il ringardise la loi de l'offre et de la demande. Il dépoussière la science économique. Il ouvre de nouveaux horizons sans pour autant renoncer à la discussion et au principe du compromis.
Comme les Rolling Stones ont ringardisé les Beatles (pardon aux fans), John Maynard Keynes a ringardisé les néoclassiques.
Que son esprit nous revienne.
… When I'm drivin' in my car
And that man comes on the radio
He's tellin' me more and more
About some useless information
Supposed to fire my imagination
I can't get no, oh no, no, no
Hey hey hey, that's what I say …
Micaël Fischer, le 22 septembre 2014.